"La faim n'est pas la priorité des pays riches"

Publié le par Arnaud

Quel bilan tirer du sommet de la FAO, qui s'est donné pour objectif dans sa déclaration finale d'"éradiquer la faim dans le monde" sans fixer ni date ni chiffre ?

- Ce qui ressort du sommet, c'est une certaine déception, que nous avions malheureusement prévue. Beaucoup de discussions ont porté sur l'accroissement de la production agricole, la révolution verte. C'est bien, mais c'est loin d'être suffisant. Une des grandes craintes, c'est qu'on se cantonne à une démarche productiviste. Il faut une approche plus multiforme. Il n'y a pas de prise en compte du problème de la malnutrition. Pour combattre la faim, le problème n'est pas de produire plus, mais d'assurer un meilleur accès à la nourriture. On observe par exemple qu'il y a très peu de distribution alimentaire pour les enfants de moins de deux ans et les femmes enceintes, alors que ce sont les populations les plus touchées. La nourriture distribuée n'est pas adaptée. Il y a un manque de nouveaux financements, mais il y a aussi et surtout un manque d'efficience des fonds existants, et de cohérence entre les programmes.

Que pouvait-on attendre d'un sommet où aucun dirigeant du G8 ne s'est déplacé, à part Silvio Berlusconi qui était l'hôte ?

- La faim n'est clairement pas la priorité des pays riches. Les pays du G8 s'étaient engagés en juillet à L'Aquila à donner 20 milliards de dollars pour la sécurité alimentaire. C'est une promesse de dons. Se réalisera-telle ? Les Etats doivent se réunir en 2010 pour concrétiser cet engagement. Une initiative intéressante a été lancée par les Etats-Unis, l'Espagne et l'Italie pour gérer de façon multilatérale ces fonds, directement en support à des plans nationaux. La question ensuite est de savoir quelle est la part d'argent frais dans les sommes annoncées. Certains pays annoncent comme nouveaux des fonds déjà prévus dans leur budget. D'où l'impression d'un financement accru alors que ce n'est pas forcément le cas. Un espoir que l'on peut avoir pour mobiliser les pays riches, ce serait peut-être de raccrocher le problème de la faim au changement climatique.

L'ONG Ofam International a accordé une note de 2/10 au sommet. Qu'en pensez-vous ?

- Si la note est en corrélation avec la présence de dirigeants du G8 et les décisions qui ont été prises, elle est justifiée. En 1996, les dirigeants mondiaux réunis au Sommet mondial de l’alimentation s’étaient engagés à réduire le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde. 13 ans plus tard, on aurait pu reprendre exactement le même discours : il est toujours d'actualité. La faim reste très présente, même si les grandes famines ont diminué. La malnutrition infantile reste un point noir. C'est important qu'il y ait des sommets, mais si on reste dans l'incantation, effectivement cela ne sert pas à grand-chose.
 
Jacques Diouf a affirmé lors de son discours de clôture qu'il fallait "passer des paroles aux actes". N'est-ce pas le fond du problème ? Et quand cela sera-t-il possible ?

- Malgré la déception, il ne faut pas tomber dans le fatalisme. Encore une fois, il suffirait de mieux utiliser les fonds existants et d'en collecter davantage. L'idée de fixer des engagements chiffrés est par exemple une bonne mesure, qui donne des résultats.
Le problème, c'est que souvent on repousse la date au lieu de faire en sorte de respecter les engagements. Au sommet du millénaire de l'ONU en 2000, les dirigeants mondiaux s'étaient engagés à une réduction de moitié de la proportion des personnes souffrant de la faim entre 1990 et 2015. La date butoir vient d'être repoussée à 2025, alors qu'il nous restait 6 ans pour honorer cet engagement. Mais cela permet au moins une meilleure communication sur les avancées ou le retard qui est pris.
On peut aussi parler de l'engagement des pays riches au début des années 2000 à consacrer 0,7% de leur PIB à l'aide au développement. Jose Luis Zapatero en Espagne a réaffirmé qu'il comptait atteindre ce chiffre à la fin de sa mandature. En France, on est à 0,48 % pour le moment. Ces engagements ont le mérite d'obliger à se justifier quand on ne les respecte pas.
Autre piste : un impôt international sur les transactions financières, sur le modèle de la taxe Tobin. Unitaid a bien réussi à le faire sur les billets d'avion et récolte 400 millions de dollars chaque année contre le sida. Des solutions existent.

Interview de Stéphane Doyon responsable de la nutrition pour Médecins sans frontières (MSF)  par Anne-Sophie Hojlo, lenouvelobs

Publié dans Solidarité

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